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Conférence 27 mai 2022 - L’indépendance de l’Algérie et les conflits de mémoires d’après Aissa Kadri et Olivier Le Cour Grandmaison
Article mis en ligne le 15 juin 2022
dernière modification le 2 novembre 2022

par l’équipe de touiza

Vendredi 27 mai 2022 au Hang’Art et dans le cadre du collectif l’Algérie au cœur, s’est tenue une conférence-débat animée par Olivier Le Cour Grandmaison, politologue et Aïssa Kadri, sociologue.

Nous vous en proposons un résumé ci après. Ainsi que l’article publié par El watan, presse algérienne.

A Marseille, ville sœur d’Alger, un collectif de quinze associations citoyennes, « L’Algérie au cœur », s’est mis en place pour commémorer le 60ième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Organisée dans le cadre de ce collectif par l’ANPNPA ( Association Nationale des Pieds-noirs Progressistes et leurs Amis ) , la 4ACG ( Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis contre la guerre) et l’association Touiza Solidarité, une conférence débat portant sur « De l’Algérie coloniale et l’indépendance, la construction du jeune Etat-nation ; comment sortir du conflit de mémoires », avec les professeurs Olivier Le Cour Grandmaison et Aïssa Kadri , s’est déroulée le 27 mai dans les locaux annexes de la Mairie 4/5 de Marseille.

Ouverte par Jacques Pradel président de l’ANPNPA, la réunion a débuté avec une présentation historique de l’auteur de l’ouvrage « Coloniser, exterminer », qui revenant sur l’histoire de la colonisation française apporte très rapidement une précision, relative à l’expression “la guerre d’Algérie”, en la contestant pour dire qu’au mieux, elle est inexacte, puisqu’il n’y a pas eu une guerre d’Algérie mais bien plusieurs qui débutent avec les opérations militaires relatives à la conquête et à la pacification de ce territoire en 1830. Opérations dirigées par le général Bugeaud et réalisées par ses colonnes infernales qui ont ravagé le pays, pratiqué de terribles enfumades, massacré et déporté les civils dans le cadre d’une guerre qui doit être qualifiée de totale. Guerre encore lorsque les armées françaises sont mobilisées pour rétablir l’ordre colonial, très sérieusement menacé par l’insurrection dirigée par le bachaga El Mokrani en 1871. Au pire, cette expression “la guerre d’Algérie” occulte cette histoire en faisant croire, à dessein ou par omission, que le conflit qui a débuté le 1er novembre 1954 est unique et donc exceptionnel en raison des méthodes pour le moins particulières employées par les militaires avec l’aval des gouvernements de l’époque. Lorsqu’on change de perspectives en privilégiant une plus longue durée, il est clair qu’il n’en est rien. A preuve, la torture, les exécutions sommaires, les destructions de villages et d’oasis ont été couramment utilisées avant cette date. Plus encore, elles furent en quelque sorte la norme dès lors que les autorités coloniales estimaient que la domination française était gravement compromise.” Enfin, en ce qui concerne la reconnaissance des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par la France en Algérie entre 1830 et juillet 1962, Olivier Le Cour Grandmaison, relève que l’actuel président de la République, E. Macron, s’obstine dans le refus de les reconnaître de façon pleine, entière et précise, contrairement à d’autres anciennes puissances coloniales européennes, comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne, notamment.

Aïssa Kadri reprenant sur les propos d’Olivier Le Cour Grandmaison, note que dans l’approche sur la question des mémoires, cette histoire en longue durée est souvent occultée au profit d’une mise en avant de souffrances qui sont mises au même niveau comme celles « d’ennemis complémentaires » selon la formule de Germaine Tillion. Selon lui c’est l’entreprise coloniale, qui est la cause originelle, la cause causante, de tous les malheurs algériens, c’est le colonialisme qui est, suivant Fanon, « la violence à l’état de nature ». Et renvoyer dos à dos, à partir du présent, les protagonistes de la confrontation, permet d’occulter à bon compte les fondements historiques des violences. Aussi bien, selon lui, on ne peut faire comme si on était dans un self-service de réponses, selon les contextes, à des souffrances. Tout se passe comme si, on était sur un marché des souffrances où chacun trouverait sa médication ; cela élude l’essentiel, une reconnaissance d’Etat des effets et conséquences d’une colonisation sans merci, radicale. Il revient alors, sur le moment 62 et notamment le début de l’indépendance où il observe que sitôt les violences de l’été tues, des solidarités extraordinaires entre pieds-noirs, pieds-rouges et Algériens, se sont nouées autour de la construction de l’Algérie indépendante. Il y a là un exemple de ce que pourrait être l’avenir.

Le débat qui suivit revient sur l’écriture de l’histoire et ouvre sur la question de la vérité des faits qui devraient être traités par des historiens des deux rives ; ce qui nécessite une franche ouverture des archives et de travailler sur l’école, l’éducation, la culture. Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, la reconnaissance de tous les crimes coloniaux, pour toutes les victimes, permettrait d’honorer grandement l’Etat Français et ouvrirait la voie aux générations futures pour une fraternité complémentaire pour entreprendre ensemble leur avenir. Les jeunes des deux rives sont en effet quelque peu frustrés de leur histoire, qu’elle leur soit propre ou qu’elle soit commune, et il est important que l’écriture d’une « histoire connectée » sans tabous leur permettent de se la réapproprier dans sa pluralité et une citoyenneté effective.